Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question.
Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ?
De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront :
« Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »
Charles Baudelaire
Enivrez-Vous est un poème de Charles Baudelaire, publié le 7 février 1864 dans Le Figaro n°937 puis repris dans le recueil posthume Le Spleen de Paris, également connu sous le titre Petits poèmes en prose.
Sans oublier la magnifique interprétation due à Serge REGGIANI :