Il y a cent ans – les célébrations de cet anniversaire furent récemment à la hauteur de ce terrible événement – éclatait celle que l’on allait appeler la Grande Guerre. Dans les premiers jours, environ trois millions cinq cent mille Français furent mobilisés. Parmi eux, un modeste potier de Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, émigré piémontais comme son épouse, qui partira vers cette guerre ; mais avant, il eut le bonheur de vivre la naissance de son enfant, un garçon qui fut prénommé Jean. Son père ne revint que cinq ans plus tard de captivité.
Jean donna entière satisfaction à ses parents, il se montra même précoce à bien des égards. Au séminaire dominicain de Nice où il entra à l’âge de onze ans, il découvrit le latin et le grec et se révéla très studieux en général ; le séminaire lui offrit une solide éducation. Après son bac, Jean choisit d’entrer dans les Ordres. Noviciat en 1931 à Biarritz, prise d’habit en 1932 au prieuré de Saint-Maximin.
Il sera choisi par le Père Marie-Joseph Lagrange, fondateur de la célèbre Ecole biblique de Jérusalem, pour aller travailler le texte testamentaire sur place. Honoré et heureux, Jean se prépare à sa future expérience dans le cadre de l’Ecole biblique, en apprenant entre autres l’allemand, « la première des langues sémitiques » selon le Père Lagrange (si l’on considère le nombre de savants allemands venus faire des recherches sur le terrain du Proche-Orient ancien) ; mais la guerre mondiale ne permettra pas ce projet et, par conséquent, Jean restera au prieuré de Saint-Maximin. Là, il enseigna la philosophie grecque, l’hébreu et l’exégèse biblique. Mais il fut suspendu lorsqu’il refusa de créditer l’épisode du Péché originel de la Genèse d’un certificat d’historicité. Interdit de séjour au prieuré de Saint-Maximin, il rejoignit un couvent dominicain parisien où il apprit seul l’akkadien puis traduisit le Code de Hammurabi avec René Labat, professeur de philologie et d’histoire à l’Ecole Pratique des Hautes Études, qui engagea Jean d’entrer au CNRS en 1947 où il fut chercheur jusqu’en 1958 ; il dut abandonner le sacerdoce en 1950.
Jean sera assyriologue. Ses innombrables travaux le conduisirent sur le site archéologique de Mari, en Syrie ; mais il découvrit surtout à cette époque l’Irak, rejoignant ainsi la démarche du Père Lagrange qui était d’étudier les textes cunéiformes à l’endroit où ils ont été écrits. Ses publications le propulsèrent vers une reconnaissance internationale de premier plan. Ce chercheur érudit et passionné enseigna plus tard l’akkadien à l’Ecole du Louvre. Il se révéla à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, à la chaire d’assyriologie, la deuxième dans cette Ecole qui fut créée pour lui par René Labat en 1958 ; il y devint Directeur d’études.
Il traduisit l’ouvrage « L’Histoire commence à Sumer » écrit par Samuel Noah KRAMER (1) avec lequel se tissèrent des liens particuliers (ce dernier fut grand spécaliste de Sumer et du sumérien).
Jean se consacra à la civilisation mésopotamienne qui fut on terrain de prédilection. Il devint épigraphiste dans le désert irakien, invité dans le cadre de fouilles sur le site d’Uruk. Il publia d’innombrables ouvrages parmi lesquels « Lorsque les Dieux faisaient l’Homme : Mythologie mésopotamienne ou sa traduction de « L’Epopée de Gilgamesh ».
Montrant durant son existence un solide sens de l’amitié et un goût raffiné pour la cuisine (2), il vécut jusqu’à l’âge de 93 ans. Il mourut le 15 décembre 2007 à Gif-sur-Yvette.
Voici ce qu’écrivait Jean-Claude Carrière à la fin de sa préface du livre Au commencement étaient les dieux:
(…) Dans cette étonnante série de textes dont la lecture est inséparable, pour moi, de la voix de Jean, de sa rondeur, de sa verve, de sa joie, on peut sentir à chaque instant comment le monde s’offre d’abord à notre égard, puis à notre pensée, comment celle-ci s’en saisit, l’étudie, l’analyse, le compare, élargissant sans cesse ce trésor que nous appelons le savoir.
On peut voir aussi, quelquefois, comme dans un dimanche à Gif-sur-Yvette, comment la vie, par la grâce d’un individu, peut réunir ce que les siècles avaient jusque là séparé.
Il aurait eu 100 ans aujourd’hui, l’immense Jean BOTTERO…
J’ai la grande chance d’avoir eu parmi mes professeurs, lors de mon Master « Epigraphies et langues du Proche-Orient ancien », l’un de ses anciens élèves (dont je garde un extraordinaire souvenir et une immense admiration) qui nous confia un jour avoir accompagné Jean BOTTERO, il y a quelques années, dans le grand sud de l’Irak où ils arrivèrent chez des autochtones qui vivaient là, dont on aurait pu dire qu’ils étaient les descendants directs des Mésopotamiens de jadis. Et ils furent confrontés à une recette particulière ; celle d’un poisson dont j’ai le souvenir qu’elle fut assez loin d’être appétissante (c’est un euphémisme). Recette que Jean BOTTERO tentera de reproduire de retour à Paris…
Notes :
(1) Samuel Noah Kramer, né à Kiev (Ukraine) le 28 septembre 1897, et mort aux États-Unis le 26 novembre 1990, assyriologue américain, spécialiste de Sumer et de la langue sumérienne.
(2) A propos de cuisine, sur le site Ecrits-Vains.com
Liens :
• Emouvant et passionnant portrait de Jean BOTTERO par Jean-Claude Carrière (dans sa préface de l’ouvrage Au commencement étaient les dieux, Tallandier, 2004) repris sur anatoll4.typepad.fr
• Hommage rendu par le site internationalnews.fr
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