Vous souvenez-vous de la précédente équinoxe ? Celle du 23 septembre dernier ? Quelle que soit l’équinoxe, à cette date le jour et à la nuit ont exactement la même durée. Un phénomène possible grâce à l’alignement parfait du soleil avec l’équateur, il change d’hémisphère céleste. En septembre, la nuit va peu à peu gagner sur le jour (jusqu’au solstice d’hiver) alors qu’en mars, le jour va peu à peu gagner sur la nuit (jusqu’au 21 juin, date du solstice d’été).
Mais ici et maintenant, quel meilleur endroit peut-il y avoir au monde – que dis-je ! dans la galaxie ! – pour partir à la rencontre de ce printemps nouveau, que nos collines ? Ah, le Garlaban en pareille saison ! En route ! Par le chemin de la Treille.
« Vous n’allez pas me dire que vous allez à La Treille ?
— Nous traversons le village, dit mon père, mais nous allons encore plus loin.
— Mais après La Treille il n’y a plus rien !
— Si, dit mon père, il y a Les Bellons. » (1)
Lili des Bellons y vint plusieurs fois attendre Marcel ; et c’est bien à La Treille que Joseph, son père, alla montrer ses bartavelles et se fit photographier par le curé. (2)
C’est à la Bastide neuve que Marcel Pagnol, enfant, passait ses vacances avec ses parents. Elle est malheureusement laissée à l’abandon de nos jours…
« Alors mon père nous montra – de la main gauche, car il frottait toujours son crâne endolori – une petite maison, sur le coteau d’en face, à demi cachée par un grand figuier. « Voilà, dit-il. Voilà la Bastide-Neuve. Voilà l’asile des vacances : le jardin qui est à gauche est aussi à nous ! » Ce jardin, entouré d’un grillage rouillé, avait au moins cent mètres de large.
Je ne pus y distinguer rien d’autre qu’une petite forêt d’oliviers et d’amandiers, qui mariaient leurs branches folles au-dessus de broussailles enchevêtrées : mais cette forêt vierge en miniature, je l’avais vue dans tous mes rêves, et, suivi de Paul, je m’élançai en criant de bonheur. » (3)
Marcel Pagnol a commencé à écrire ses Souvenirs d’Enfance dans la villa La Pascaline, en 1956.
Et nous arrivons au restaurant Cigalon. Mais oui !
Cigalon est un film réalisé par Marcel Pagnol, sorti en 1935. L’histoire : Cigalon est le propriétaire d’un restaurant. Depuis des années, il refuse catégoriquement de servir les clients. Un beau jour, Mme Toffi, son ancienne blanchisseuse, vient ouvrir un autre restaurant dans le village. Cigalon piqué au vif se remet aux fourneaux…
Il s’assit sur une roche et, secouant toujours la tête, il croisa les bras et se tut. Cette mimique un peu théâtrale m’irrita, et je dis sévèrement :
« Qu’est-ce qu’il te prend ? Tu deviens fou ? Qu’est-ce que c’est que nous avons oublié ? »
Il me montra du doigt la barre et prononça ce mot mystérieux :
« Libou.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Legrosibou.
– Quoi ? »Il s’énerva et dit avec force :
« Celui qui a voulu nous crever les yeux ! Le grand-duc ! Il habite dans le plafond, il a sûrement sa femelle… Nous en avons vu qu’un, mais je te parie douze pièges qu’il y en a deux ! »
C’était une nouvelle terrifiante. On a beau être formidable, il y a des moments où le destin nous trahit. Deux grosibous ! Je les vis voler autour de ma tête, leur bec jaune ouvert sur des langues noires, les yeux glauques, la serre crochue, et rendus mille fois plus dangereux par les descriptions que j’en avais faites, descriptions confirmées par mes cauchemars…
Je fermai les yeux de toutes mes forces, et je respirai profondément. Non, non ce n’était pas possible : il valait mieux la classe de M. Besson, avec les carrés, les losanges, et les devoirs du Citoyen.
Lili répétait : « Il y en a sûrement deux ! »
Alors, je fus d’autant plus formidable que j’étais décidé à battre en retraite quand le moment serait venu. Je lui répondis froidement :
« Nous aussi, nous sommes deux. Est-ce que tu aurais peur, par hasard ?
– Oui, dit-il, oui, j’ai peur. Toi, tu ne te rends pas compte d’une chose. L’hibou, nous l’avons vu le jour : c’est pour ça qu’il n’a pas bougé… Mais la nuit, ça, c’est son affaire : pendant que tu dormiras, ils viendront te crever les yeux… Un grosibou, la nuit, c’est pire qu’un aigle ! »Je pensai qu’en exagérant mon courage, il refuserait de me suivre. Je répondis gravement : « C’est pour ça que nous allons attendre le lever du jour, et nous irons les attaquer ! Avec le couteau pointu au bout d’un bâton, moi je me charge d’expliquer à ces volailles que la grotte a changé de locataires ! Maintenant, assez de parlotes.
Préparons-nous ! » (4)
Et au coeur de cette colline nous avons immortalisé des instants de véritable grâce. Beauté étonnante, fragilité et robustesse…
L’immense Marcel Pagnol qui nous a accompagné tout au long de cette merveilleuse journée repose dans le paisible cimetière de la Treille, devant lequel nous passons à notre retour.
Moment émouvant qui conclue une balade extraordinaire pleine d’images merveilleuses et de cette Lumière incroyable, berçant une nature renaissante ; formidable ode à ce printemps tant attendu et enfin arrivé…
Tout peut recommencer.
Notes :
(1) Marcel Pagnol, 1976, Le Château de ma Mère, éd. Presses Pocket
(2) Marcel Pagnol, 1976, La Gloire de mon Père, éd. Presse pocket
(3) La Gloire de mon Père
(4) Le Château de ma Mère
Photos : LK.
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